Du boom à la chute, Fria devenue une ville fantôme. Comment Boké, Siguiri, Kérouané et Beyla peuvent-ils éviter le meme sort?

De la révolution industrielle du 18ᵉ siècle en Angleterre au paternalisme industriel en Amérique du Nord, les cités industrielles ont existé. Même si ces cités existaient parfois avant l’implantation des entreprises de production, leur survie dépend fortement des industries qui y sont implantées.

 Le portrait classique de ces villes est illustré par la présence dominante d’une entreprise autour de laquelle l’économie locale tourne. Elles  peuvent passer du « boom », quand tout se passe bien, à la « chute », lors de la fermeture de l’entreprise.

En Guinée, les industries les plus florissantes sont celles minières, autour desquelles nous assistons à une forte concentration de la population. Malgré l’existence d’études qui démontrent la spécificité de ces villes industrielles et la capacité de certaines à briser le cercle vicieux du « boom et de la chute », leur dénominateur commun reste leur manque de durabilité et de viabilité après la fermeture des mines.

 La ville de Fria, en Guinée, était autrefois un très bon modèle de cité industrielle fondée autour de l’exploitation de la bauxite et de la production d’alumine. L’exploitation de la bauxite y a débuté en 1950, sous la domination française, avec l’usine Alumina Company of Guinea (ACG-Fria). Pendant plusieurs décennies, la ville a été largement dépendante de cette industrie à travers les emplois, les services et les infrastructures. L’existence même de la ville était liée à l’usine et à la mine.

 En 2008, la production de l’usine d’alumine baisse à cause de la crise financière mondiale et de la chute du prix de l’aluminium. L’entreprise entre alors en austérité. Les employés, qui avaient la possibilité de fournir des services sanitaires à leurs dépendants, devenaient incapables d’en faire autant pour leurs propres enfants, ce qui entraîna des conflits sociaux. En 2012, l’entreprise russe RUSAL, qui exploitait la mine, ferme à son tour et laisse plus de 1 000 employés permanents et directs ainsi que 2 000 employés indirects sans salaire. Les travailleurs ont commencé à vendre leurs maisons, meubles, parcelles, etc. afin de survivre. Les populations étaient laissées sans alternatives économiques, plongées dans le chômage, avec des services sociaux affaiblis et des infrastructures détériorées. Aujourd’hui, Boke, Siguiri, Beyla et Kerouane peuvent considerer la situation de Fria comme un enseignement afin d’éviter d’être pris par le meme piège.

Dans cette réflexion, trois (3) questions essentielles vont guider notre analyse  a savoir (1) quels sont les défis liés à la durabilité des villes industrielles ? (2)ces défis peuvent-ils être relevés par les entreprises minières à travers leurs politiques ESG (Environnement, Société et Gouvernance) ? (3)alors, quelles démarches pour l’État, les entreprises minières, les communautés des villes industrielles et toutes les autres parties prenantes pour éviter la chute après la fermeture ou le départ de l’entreprise ?

I- Villes industrielles : Et si la mine fermait ?

Boké et Siguiri sont les principales villes dépendantes de l’industrie minière en Guinée.Avec le projet Simandou, Beyla et Kérouané viennent s’ajouter à la liste. Le dénominateur commun de ces villes est qu’elles font face aux mêmes opportunités, leur permettant de prospérer grâce à l’existence de ressources minières, mais aussi aux mêmes défis, qui risquent de leur réserver le sort de Fria.

La dépendance économique, un defi majeur.

L’économie locale de Fria dépendait fortement de l’exploitation de la bauxite et de la production d’alumine. Les fournisseurs et sous-traitants créaient de la plus-value, et le commerce informel comptait sur les salaires des employés.  À Boké comme à Siguiri, le constat reste le même. L’exploitation artisanale de l’or demeure cependant une circonstance atténuante à la dépendance de la ville vis-à-vis d’AngloGold Ashanti, l’entreprise aurifère, et de la Société Minière de Dinguiraye.

Cette dépendance économique se manifeste sous plusieurs angles : la prolifération des entreprises locales espérant obtenir des marchés avec l’entreprise minière, le commerce de détail, la construction d’infrastructures sociales (écoles, hôpitaux, forages, etc.) de qualité par l’entreprise minière, entre autres. La réalité est qu’à la fermeture de l’entreprise, toute cette structure économique s’effondre. Les commerces locaux ferment, les infrastructures se dégradent et s’usent au fil du temps, faute d’entretien.

Des communautés fantômes, personne ne reste après la fermeture d’une mine.

Le deuxième défi majeur reste l’inexistence d’une communauté stable sur laquelle on puisse s’appuyer pour élaborer une politique de développement durable. Dans les villes industrielles, comme Fria, Boke, Siguiri, Beyla ou Kerouane, une frange importante de la population est composée de migrants attirés par le projet minier, des employés (locaux et expatriés) et de leurs dépendants, ainsi que de chercheurs d’opportunités et d’hommes et femmes d’affaires venus profiter directement ou indirectement des contrats liés à l’entreprise minière.

L’appellation « ville fantôme » n’est donc pas fortuite. Après la fermeture des mines, la majorité de cette population quitte les lieux et se tourne vers d’autres horizons offrant plus d’opportunités. La plupart des commerces et entreprises locales ont une vision à court ou moyen terme. Leurs détenteurs sont généralement des dépendants d’employés ou d’anciens employés de l’entreprise, qui les ont mis en place comme seconde source de revenus. Il en était de même à Fria. La municipalité avait du mal à différencier les autochtones des résidents temporaires ou nouvellement installés à la suite du boom industriel. Le même constat s’applique aujourd’hui à Boké et à Siguiri.

 Il devient alors difficile d’élaborer un Plan de Développement Local (PDL) sur la base d’une population qui change constamment selon la santé financière de l’entreprise minière.

À part l’entreprise minière, quoi d’autre ?

L’expérience des villes industrielles qui ont sombré après la fermeture de leur entreprise nous montre qu’elles étaient habitées et gouvernées par l’idée selon laquelle les mines seules seraient la solution. C’est là le défi lié à l’essence même de ces villes. Avec des ressources non renouvelables comme les minerais, fonder une économie sur ce seul secteur représente un grand risque. C’est ici qu’intervient la théorie de la “détermination de l’objectif”.

Le sol de Fria, tout comme celui de la Basse-Guinée, est dominé par le bowal, une terre rougeâtre formée par sédimentation depuis le précambrien. Avec une pluviométrie élevée, la ville aurait pu diversifier son économie en incitant à des investissements dans l’agriculture et le tourisme, notamment compte tenu du grand nombre d’expatriés et de chercheurs d’opportunités. L’agriculture pouvait servir de catalyseur et de source de revenus, dans le cadre d’un plan de développement local solide, capable d’attirer des investissements nationaux et étrangers.

II – Les politiques ESG des industries minières,des solutions trop “soft” ou de façade ?

Les politiques ESG concernent l’Environnement, la Société et la Gouvernance. Ces trois (3) critères qui sont utilisés pour évaluer la performance et la durabilité d’une entreprise, au-delà de ses résultats financiers.

De nos jours, les entreprises minières sont devenues très actives en matière de politique ESG. Cela s’explique, d’une part, par la mauvaise réputation de l’exploitation minière, souvent perçue comme une activité destructrice, et, d’autre part, par le fait que les entreprises minières investissent principalement dans les pays du Sud, c’est-à-dire en développement, où la corruption est endémique et les mécanismes de contrôle juridique sont faibles. Avec des initiatives comme le Mining and Minerals Sustainable Development Project (MMSD) et des entités telles que le International Council on Mining and Metals (ICMM), de nombreuses entreprises minières affichent désormais des agendas ESG. Si les trois (3) critères sont essentiels, les deux (2) premiers,Environnement et Société,le sont encore plus pour la viabilité des villes industrielles. L’exploitation minière rime avec dégradation, mais l’absence de suivi et de mesures de mitigation peut menacer l’existence des générations futures.

Les entreprises minières en Guinée disposent bien de politiques ESG alignées sur les standards de la SFI (Société Financière Internationale), mais leur application reste discutable. Il suffit de se rendre à Fria, Boké ou Siguiri pour s’en rendre compte.

Avec Simandou, des stigmates sont déjà visibles tout le long du corridor ferroviaire de Beyla à Morébaya. Les plaintes récurrentes des populations concernant la pollution de l’eau et la dégradation des terres agricoles sont régulièrement recensées.  Il est vrai que les politiques ESG n’ont pas de valeur juridique contraignante, contrairement aux conventions signées entre les entreprises minières et l’État. Cependant, l’Etat doit s’assurer qu’elles doivent tenir de plus en plus compte de l’avenir des communautés.Ne serait ce que rendre ceci une des conditions d’obtentions de permis d’exploitation.

 Egalement, les projets agricoles ou les infrastructures sociales offerts doivent pouvoir résister au temps. Au lieu de mettre l’accent sur le capital humain, les entreprises minieres misent plus sur des actions sociales circonstancielles, afin d’apaiser les tensions et de favoriser la continuité de l’exploitation, telles que les distributions de sacs de riz.

 III – L’État, un acteur clé de plannnification et prévention.

Dans la préservation des villes industrielles face à une éventuelle chute économique, l’État doit jouer un rôle interventionniste et planificateur. Cela passe par la transformation locale des minerais, une gestion efficace des revenus tirés de l’exploitation minière, un suivi rigoureux des initiatives de développement communautaire menées par les entreprises minières, ainsi que des plans de développement locaux (PDL) initiés par les communautés elles-mêmes.

 L’Afrique du Sud est souvent citée en exemple pour avoir su batir une économie solide à partir de ses ressources minières, notamment l’or, le platine, le charbon et le diamant. Le pays a misé sur une industrialisation soutenue (chemins de fer, ports, électricité) et sur une politique de transformation locale des minerais, ce qui lui a permis de créer une base industrielle durable, au-delà de la simple extraction. En outre, l’Afrique du Sud a développé un écosystème d’entreprises locales puissantes, des institutions de recherche et de formation solides, ainsi qu’une diversification économique axée sur la valeur ajoutée.

 Cependant, les pays miniers restent souvent confrontés à la corruption et à des pratiques parfois peu transparentes de la part de certaines entreprises. Il revient donc à l’État de concevoir et mettre en œuvre des mécanismes de contrôle efficaces, d’investir dans le capital humain et de diversifier les activités économiques dans ces villes, afin de réduire la dépendance au secteur minier. Par exemple, une politique agricole ambitieuse, combinée à un système efficace d’écoulement des produits, pourrait encourager de nombreux acteurs à s’orienter vers ce secteur. De même, la culture, le tourisme et l’artisanat peuvent devenir de véritables leviers d’attractivité et de résilience économique.

Enfin, même si les normes ESG (Environnement, Social, Gouvernance) ne sont pas juridiquement contraignantes, le reporting ESG demeure obligatoire. L’État doit donc s’assurer que ces rapports soient cohérents, pertinents et fidèles à la réalité du terrain.

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