Simandou : les trains prêts à rouler, la Guinée encore en attente.
Le chantier du corridor ferroviaire du Simandou est l’un des plus ambitieux d’Afrique de l’Ouest. Sur des centaines de kilomètres, les rails traversent montagnes, forêts et plaines pour relier la région minière du sud-est de la Guinée à la côte atlantique, où un port en eau profonde est en construction à Matakong. Ce projet, symbole de modernité et de potentiel économique, est sur le point d’entrer dans sa phase opérationnelle en novembre prochain. Aux dernières nouvelles, la premiere cargaison de minerai devrait bouger le 11 novembre 2025.
Pourtant, derrière cette réussite technique, une question demeure : à qui profitera réellement ce réseau ferroviaire ?
La Compagnie du Transguinéen (CTG), créée pour représenter la participation nationale dans le projet, devait incarner la souveraineté de l’État guinéen dans la gestion des infrastructures minières. Mais aujourd’hui, elle apparaît en retrait. Les partenaires industriels internationaux contrôlent la plupart des opérations, des décisions techniques à la planification logistique. La CTG, bien que présente dans les organigrammes, joue un rôle secondaire, voire symbolique.
Cette situation illustre un déséquilibre persistant : malgré la volonté politique d’assurer une gouvernance nationale forte, les leviers stratégiques restent concentrés entre les mains des investisseurs étrangers. L’État, souvent dépendant de leurs financements et de leur expertise, peine à imposer ses priorités économiques et sociales.
L’effectivité du bénéfice national reste ambigu. Le gouvernement guinéen affirme vouloir faire du chemin de fer du Simandou un outil de développement partagé. L’idée est que cette infrastructure serve, à terme, au transport de passagers, de produits agricoles et de marchandises locales, contribuant ainsi à désenclaver plusieurs régions du pays.
Mais sur le terrain, les signes d’une telle ambition sont encore absents. L’utilisation des infrastructures ferroviaires à des fins commerciales au profit des populations reste ambiguë : aucun aménagement n’a été réalisé pour faciliter un accès public au réseau. Les rails contournent les principales agglomérations et aucune route n’a été aménagée pour les relier, rendant improbable, pour l’instant, une utilisation au service des habitants ou des activités locales.
Ce constat alimente un sentiment d’exclusion au sein des communautés traversées, qui voient passer les rails sans en percevoir les bénéfices directs. Le corridor, censé être une colonne vertébrale du développement, risque de devenir un simple canal d’exportation, reproduisant le schéma classique des économies extractives africaines.
L’enjeu du Simandou dépasse la seule question du minerai de fer. Il devrait être une question de gouvernance et de vision à long terme. Il s’agit d’un test grandeur nature pour la gouvernance économique guinéenne : comment transformer un projet d’envergure internationale en levier de développement durable et inclusif ?
Le défi est multiple. Il faut à la fois garantir la rentabilité du projet pour les investisseurs, protéger les intérêts de l’État, et assurer des retombées locales tangibles. Cette équation complexe exige une gouvernance claire, des institutions solides et une vision partagée entre partenaires publics et privés.
Pendant ce temps, d’autres projets miniers, comme Nimba ou Zogota, espèrent bénéficier des mêmes infrastructures. Leur avenir dépendra en grande partie de la manière dont la Guinée saura tirer les leçons de Simandou c’est a dire mieux planifier, mieux négocier, et surtout, mieux inclure ses citoyens dans la trajectoire de son développement.
Simandou devrait être un symbole de la souveraineté économique en construction. Les trains sont donc prêts à rouler. Mais la Guinée, elle, semble encore sur le quai, cherchant sa place dans un modèle de développement qui lui échappe partiellement. Le projet reste une opportunité historique, à condition qu’il ne se limite pas à l’exportation du minerai brut, mais devienne le moteur d’une transformation économique réelle.
L’avenir du Simandou ne se jouera pas seulement sur les rails, mais dans la capacité du pays à convertir cette prouesse technique en bénéfices durables pour son peuple.